CHAPITRE FOUR
POIL AU NEZ 8.
Après quelques minutes pendant lesquelles je parlemente à ma façon avec les standardistes de différents services, j’ai enfin l’ami Olivier au bout du fil.
Il est vaguement surpris par cet appel.
— Déjà, dear collègue ?
Je le mets au parfum de ce qui vient d’arriver au chien.
Lorsque j’ai fini ma brève historiette, il murmure :
— O.K., j’arrive.
— N’en faites rien !
— Pourquoi ?
— Mais parce que les gens qui sont après nous nous prennent certainement pour un trio de gangsters et non pour des poulets…
— Pour des comment ?
— Pour des flics… Votre venue dans cette salade leur ferait comprendre que le terrain est glissant.
— Well, alors pourquoi m’appelez-vous ?
— Parce que j’ai tout lieu de croire que ces gens sont descendus à notre hôtel. Or ils y sont arrivés « après » nous, nécessairement, puisqu’ils ignoraient, avant notre venue ici, où nous allions loger, you see ?
— Oui, alors ?
— Alors, il me faut la liste des arrivées postérieures à la nôtre, tout simplement. Moi je n’ai aucune qualité pour poser une semblable question à la direction de l’hôtel. Vous allez donc, vous, demander dans l’ordre chronologique, la liste des entrées d’aujourd’hui : nom des clients, numéro de leur chambre, vous pigez ?
— O.K.
Sur ce, je lui souhaite bonne chance et je raccroche.
Pinaud vient d’achever ses épanchements. D’un geste posé, il rajuste son bénard en prenant soin de fixer le bouton d’en bas à la boutonnière d’en haut de façon à ménager une constante ventilation.
— Tu vas m’aider à empaqueter Médor, ordonné-je.
— Dans quoi on va le foutre, ce cabot ?
— Dans une de nos valises.
— Ça ne va pas être commode de l’y faire entrer, il est gras comme un moine !
— On le tassera !
Pinuche s’approche de la baignoire. Le cadavre du boxer est déjà raide. Le sang qui s’est écoulé de son affreuse blessure à la rotonde est devenu tout noir en séchant.
— Tu sais à qui il me fait penser ? murmure le vieux crabe.
— A Marat ?
— Oui. Et tu sais à quoi ?
— Çui qui l’a tué devait avoir un silencieux à son pétard…
— C’est probable.
— Ils sont organisés, les méchants de par ici !
J’ai débarrassé ma valise de la chemise sale qu’elle contenait et je l’ai posée sur le carrelage de la salle de bains.
— Aide-moi à soulever cette pauvre bête… Toi, tu prends les pattes de devant…
Nous déposons le corps du chien dans la valise. La raideur cadavérique ne facilite par son installation. Nous sommes obligés de lui briser les flûtes arrière pour pouvoir le faire tenir. Pas marrant comme turbin. Ensuite nous nous escrimons pour rabattre le couvercle. Pinaud est obligé de s’agenouiller dessus pour que je parvienne à faire jouer les deux petits cliquets de métal chromé.
Nous sommes en nage, mais triomphants. Il faut dire que les ronflements de Bérurier ont été un puissant stimulant.
Cette truffe dort la bouche grande ouverte. Histoire de s’amuser un brin, je m’empare d’une des minuscules savonnettes mises à la disposition des clients par l’hôtel et je la lui fourre dans le groin. Il ne réagit pas immédiatement, et puis brusquement il mastique la savonnette et se réveille en crachant.
Son regard d’ivrogne est injecté de sang. Il nous considère d’un air meurtrier.
— Quel est l’enfant de c… qui s’est permis… ?
Il n’a pas le temps d’achever sa phrase. Le bigophone se met à carillonner comme un perdu.
— Ce doit être le royco du F.B.I., fais-je à Pinaud.
C’est sa pomme, effectivement.
— J’ai les renseignements, dear friend.
— O.K., j’ouïs.
— Vous avez pour écrire ?
— Yes, boy.
Je lance mon stylomine à la décrépitude à moustache qui me contemple.
— Note ce que je vais te dire…
Il hausse son épaule gauche de dix centimètres, ce qui la met presque au niveau de l’autre et, pratique, va aux va-faire-causette pour y prendre du papier hygiénique.
— Ready ? s’impatiente Oliver Andy.
— Yes !
— Après vous, les clients descendus sont : Mr et Mrs O’Skon et leurs deux enfants. Chambre 1515.
— Bataille de Marignan, affirme Pinaud à qui je viens de transmettre le renseignement.
— Ensuite, poursuit Andy, le Révérend Mac Arrony, chambre 1701, et enfin un couple de jeunes époux, les Potdzobb… Chambre 1742. C’est tout ce qui arrivé après vous.
— Merci. Je vous tiendrai au courant de la suite des événements.
Je raccroche sec.
— Alors ? demande le détritus.
Je lui arrache son rouleau de faf à train.
— C’est là-dessus que tu devrais écrire tes Mémoires, Pinaud ! Ce serait un excellent divertissement pour les usagers !
Je mets ma veste et me donne un coup de brosse.
— Tu sors ?
— Yes, je vais dans le monde. Ne bougez pas d’ici tous les deux.
Dans le couloir, je me détranche sur la liste. Le personnage, le plus intéressant du lot, à mon sens, c’est le pasteur because il est seulâbre à l’hôtel. Je vais donc commencer par lui.
Le mieux, dans mon cas, puisque je parle très imparfaitement l’anglais, c’est d’y aller au culot.
Je m’annonce donc sans crier gare (et pourquoi crierais-je gare, du reste ?) à la chambre 1701. D’un index replié, je heurte le chambranle de la lourde. Toc, toc ! Personne ne répond. Je prête l’oreille 9 mais je ne perçois rien d’autre que le frisson électrique des ascenseurs derrière moi.
Bon, le zoziau est allé à la messe ou au rapport, suivant qu’il est un vrai ou un pasteur bidon !
Je descends jusqu’à la réception. Au guichet où l’on demande les clés, je bonnis, très vite « 1701 » et j’attends, un peu en retrait, manière de ne pas me faire remarquer.
La main marquée de roux (comme les deux grands bœufs dans mon étable) du préposé me tend la chiave ornée de son numéro. Je me fais regrimper au dix-septième par l’un des négros spirituels qui manœuvrent avec brio la manette de commande des ascenseurs.
J’entre dans la carrée du révérend.
La pièce ressemble à la mienne comme une goutte d’eau à une goutte de rosée. Elle est en ordre.
Je me dirige vers la commode, mais les tiroirs sont vides. Je gagne alors la penderie (ce qui est moins bien que de gagner à être connu). Et j’y découvre une valise.
Mon tempérament curieux m’incite à l’ouvrir. Comme je m’escrime sur la serrure, la porte s’ouvre assez brusquement et un grand zig habillé de maigre pénètre dans la piaule.
Il porte un costar noir avec un faux col dur tourné à l’envers.
Il ne me faut pas longtemps pour réaliser qu’il s’agit du très Révérend Mac Arrony. Son regard est aussi aimable que celui d’un gardien de la paix visionnant un film sur la traite des vaches à peau lisse.
Il me fout une question mauvaise dont je ne comprends que le sens général. M’est avis qu’il ne prise pas beaucoup ma petite perquise. M’est avis également, les potes, que ça va tourner au pas beau si ce monsieur est effectivement un respectable représentant de l’Eglise réformée.
Il reste un instant immobile, dardant sur ma pomme son regard réprobateur.
Je moule sa valoche.
— Excuse me, sir…
Mais il ne l’entend pas de cette oreille. En deux pas il est sur moi. Avant de comprendre ce qui m’arrive, je déguste un coup de genou à cet endroit de l’individu qui pousse les hommes d’affaires à se choisir des secrétaires bien balancées. Voilà que ma glotte me remonte dans la bouche. Une effroyable nausée me noue la gorge.
Cette peau d’hareng vient de m’assaisonner d’une drôle de manière pour un pasteur. Il ne me laisse pas le temps de récupérer. En moins de temps qu’il n’en faut à un auteur de chansons de charme pour trouver une rime au mot toujours, il me file un crochet gauche au foie qui me fait admirer une caravane de spoutniks.
Un coup de savate dans la soupente m’achève. Je coule à pic dans une citerne de goudron.